L'avenir a le don d'arriver sans prévenir
The sound of Silence« Nous sommes censés perdre les gens que nous aimons. Sinon, comment pourrait-on savoir l'importance qu'ils ont pour nous ? »C'était il y a bien longtemps maintenant. Si longtemps qu'elle en a oublié quelques détails. Des détails qui sont sans importance pour elle. Elle ne se souvient pas bien de sa vie avant que tout bascule. Il lui reste quelques moments, et ce sont ces moments que je vais vous raconter.
Combien de temps ? 140, je dirais. C'était il y a 140 ans que mon histoire débutait. Quelque chose comme ça. Je vivais dans une famille unie, seule enfant, ayant toute l'attention nécessaire à mon développement. Et pourtant, jamais je ne me suis ennuyée, jamais je ne me suis égarée. Je me souviens avoir reçu une éducation plutôt stricte, mais c'était pour mon bien. Encore aujourd'hui je me demande comment mes parents avaient pu se cacher aussi bien à la vue de tous. Bien sûr, à l'époque, je n'étais pas au courant de notre ... statut quelque peu spécial. Je sais qu'ils avaient prévu de me le dire plus tard. C'est ce que tout bon parent fait, c'est ce qu'ils finissent tous par faire. Mais eux, ils n'en ont jamais eu l'occasion.
Je devais avoir 12 ans, peut-être un peu plus ou un peu moins, j'ai oublié. J'étais sortie de la maison, je me souviens de ça, pour jouer avec d'autres filles de mon âge. Quand je suis revenue à la maison, tout était calme. C'était toujours très calme quand mon père n'invitait pas ses amis hauts placés. Mais là, c'était vraiment trop calme. Je me souviens avoir fouillé toutes les pièces au rez-de-chaussée. Je me souviens.
« Papa ? ... Maman ? »Nous ne jouions jamais à cache-cache, nous ne jouions plus depuis longtemps ensemble. J'étais trop grande, vous comprenez ? Mes parents n'étaient certainement pas sortis. Ce n'était pas normal. Je me souviens avoir monté les escaliers, mon cœur battant tellement fort qu'il aurait pu exploser. Les marches craquaient sous mes pieds, et pourtant, je n'entendais rien d'autre. Sur le palier, j'ai vu du sang, des traces de sang. Et je les ai suivis. Aurais-je du partir, courir sans me retourner ? Quel enfant saint d'esprit peut faire ça, sans savoir ce qui est arrivé à ses parents, à sa seule famille ?Alors j'ai continué. Jusqu'à la chambre.
C'était un bain de sang. La chambre était en désordre, tout était saccagé. Mais tout ce que je voyais, c'était les corps mutilés de mes parents. Je ne sais pas combien de temps je suis restée devant ce spectacle morbide. Jusqu'à ce qu'il fasse nuit je pense. Je ne me suis pas entendue crier, ni même dévaler les escaliers, et claquer la porte derrière moi. Je savais juste deux choses : je ne reviendrais jamais dans cette maison et je vengerais mes parents.
Après, ce fut un peu plus flou.
« La foi est la force par laquelle la lumière peut surgir d'un monde dévasté »Je me souviens de ma détresse, de ma rage, de ma haine, de ma peur, de ma tristesse. De cet abandon forcé. Toutes ces émotions d'un coup, c'était nouveau pour moi. J'ai couru jusqu'à ce que je ne puisse plus courir. Je ne sais pas comment, mais je ne suis pas tombée, je ne me suis pas pris les pieds dans ma robe. Et personne ne m'a arrêtée. Est-ce que je pleurais ? J'ai oublié. Mais je me souviens de la douleur, si profondément ancrée en moi. Je me souviens de quelque chose de nouveau qui s'agitait en moi. Un don qui ne cherchait qu'à surgir. Un don, c'est beaucoup dire. Je ne l'ai jamais considéré ainsi. C'était plutôt une malédiction.
J'ai eu peur, je n'ai pas compris ce qui se passait. J'entendais mes vêtements se déchirer, je me suis sentie tomber au sol, la douleur irradiait dans mes bras, dans mes jambes. J'ai eu peur de mourir, à vrai dire. Une petite fille de 12 ans ne peut pas s'imaginer qu'elle va se transformer en loup, ne peut pas s'imaginer qu'elle est née avec cette malédiction. Si personne ne lui explique, comment peut-elle savoir ? Elle ne peut pas.
Alors elle se transforme. Devenue louve, une louve dont le pelage deviendrait noir de jais par la suite. Alors,
je me suis transformée. Je ne me souviens plus combien de temps je suis restée sous cette forme. Je n'avais aucune idée de comment ça fonctionnait. Tous mes sens étaient différents, plus bestial.
Je me souviens. Je dormais dans une tanière que j'avais pu dénicher la veille. Je me souviens. Je me suis réveillée en sursaut, sentant l'odeur de l'intrus trop tard. Mais l'intrus n'attaqua pas. L'intrus était un loup, grand, imposant. Partagée entre la peur et l'envie de me défendre, je me souviens de mon échine qui s'hérisse, d'avoir montré les crocs. Mais l'intrus n'attaque pas. Il voulait que je le suive, et c'était sans doute la meilleur décision de ma courte vie. Je l'ai suivi, parce que je n'avais personne d'autre à suivre. Il m'a mené droit chez lui. Il m'a montré comment revenir sous forme humaine.
Grâce à lui, j'ai pu apprendre à me contrôler. Je me souviens, il était doux, protecteur, stricte. Il était beaucoup de chose, mais il était un peu comme mon père adoptif. Il était devenu ma famille. Il m'a élevée, il m'a appris beaucoup. Ce que j'étais, comment me contenir, comment faire attention, ... Vers mes 20 ans, il m'a appris à me battre. Nos entraînements me permettaient d'évacuer ma colère, ma frustration. Je n'avais jamais retrouvé les assassins de mes parents. Peut-être étaient-ils morts, ou peut-être vivaient-ils encore. Si c'était le cas, je finirais par les trouver. Ce n'était qu'une question de temps, et je pouvais être très patiente.
Un soir, j'ai parlé à mon protecteur. Je me souviens de son regard. Je me souviens. Il savait ce que j'allais lui dire. J'avais grandis, j'avais appris avec lui, mais je voulais partir. Quelque chose d'autre m'appelait, et la vie en solitaire (bien qu'avec un congénère) ne m'intéressait plus. Il savait, et il m'a laissé partir. Je me souviens, je l'ai serré contre moi. C'était la première fois depuis longtemps.
Je ne sais pas ce qu'il est devenu.
« Ceux qui vivent sont ceux qui luttent »Le monde avait évolué. Un peu plus qu'avant. Les robes n'étaient pas les mêmes, les gens n'étaient pas les mêmes, les mœurs n'étaient pas les mêmes. C'était différent, et pourtant pareil. Je devais toujours être vigilante, me cacher. Néanmoins, j'ai pu découvrir le monde. Voir de nouvelles choses, aussi. Mais j'étais surtout à la recherche d'une Meute. Il m'en avait parlé, et il m'avait intriguée. De plus, au plus profond de moi, je le sentais, j'en avais besoin.
Je ne sais plus comment, mais j'ai fini par en trouver une. Je ne me souviens plus trop de ma rencontre avec l'Alpha. Il n'a pas trop posé de question. J'étais une des plus jeunes, et je pense lui avoir causé quelques soucis. Je me souviens que je contestais certaines décisions. Que je finissais souvent à courir dehors, de frustration, d'énervement. Je me souviens qu'il m'a souvent remise à ma place. Mais c'était plus fort que moi. Pourtant, je ne savais rien de ces responsabilités. Je n'étais pas son bras droit, je n'étais qu'une louve parmi les autres. Au fond, ça m'allait bien. Mais je sentais qu'il y avait plus que ça.
Les mois, les années avaient passés. J'avais réussi à trouver une place dans cette Meute, du moins, c'est ce que je pensais. Je parvenais à m'éloigner plus que d'autres, je n'avais pas toujours envie d'être avec eux, et j'avais besoin de calme de temps en temps. Tous ne comprenaient pas, mais ils me laissaient tranquille.
Puis c'est flou. Ça va vite. Je n'ai pas le temps de m'habituer ...
C'était une journée comme les autres au final, rien ne pouvait prédire ce qui se passerait. Ce jour là, notre Alpha s'était fait attaqué. Par des loups, par une autre Meute. Quelque chose en moi s'est révélé depuis. Je savais ce que je devais faire. Je ne savais pas trop comment. Mais ça viendrait. J'avais confiance en mon instinct. Pendant que les autres soignaient l'Alpha, je suis partie. J'avais l'envie irrésistible de trouver ceux qui avaient fait ça. Je les ai trouvé dans la journée. Ils s'apprêtaient à attaquer d'autres Meutes. Et pour la première fois, j'ai tué. Je ne me souviens plus de la sensation. Cela fait longtemps, et je l'ai fais tellement souvent depuis. Depuis ce jour là, je suis devenue la Berserk de la Meute. Les responsabilités me faisaient peur. Ce nouveau rang me faisait peur.
Peu de temps après, j'appris que notre Alpha était mort, tué par un humain. Mais ce n'était pas n'importe lequel. Il avait été mordu. Je n'avais pas suivi toutes les transformations avec attention, cela m'intéressait peu. Il avait tué notre chef, mais les autres voulaient quand même le soigner, l'aider dans sa transition. Pourquoi pas, après tout ? Alors j'ai aidé. J'avais pris de la confiance depuis mon ascension (si on peut dire ça comme ça). Nous l'avons ramené chez nous, et chacun à notre tour, nous avons pris soin de lui. Faire baisser sa fièvre, l'aider, être là pour lui, veiller sur lui. Je l'ai fais pour la première fois. Et ce, pendant un mois. C'est lui qui deviendrait notre nouvel Alpha.
« Le temps est le seul remède aux maux qui nous agitent. Avec lui, tout finira par trouver son sens »Cela fait longtemps maintenant que je suis dans cette Meute. O'Shean est devenu un très bon Alpha. Il est devenu un peu plus que ça pour moi. Nous nous entendons bien, je peux me confier à lui comme à personne d'autre. Il sait que je suis née louve, il sait et personne d'autre ne le sait. Il sait, et il garde le secret. Tout comme je garde le secret de sa transformation. Jamais je ne l'ai trahi. Je l'ai peut-être souvent cherché, mais j'ai toujours été loyale. Je me suis affirmée dans mon rôle. Je suis devenue garde chasse. Une très bonne excuse pour garder mes distances avec tout le monde, et travailler dans la nature. M'éloigner, marcher, écouter, observer. C'est une belle vie, je crois.
Exceptionnellement, je suis partie en mission pour un autre Alpha qui avait besoin de mes services. Je n'aime pas laisser ma Meute trop longtemps (même si je dis souvent le contraire). Je n'étais pas tranquille au moment de partir, mais je suis partie quand même. J'ai fini une nouvelle fois par tuer. Je n'en retiens aucun plaisir, et je préfère quand j'arrive à sauver les loups. Quand je suis revenue, quelques temps plus tard, j'ai eu une petite surprise. Une grosse surprise, en fait.
La ville était en quarantaine, quelque chose comme ça. Je me suis débrouillée pour retrouver ma Meute, ce qu'il en restait du moins, rapidement. Ils avaient tous migré sur Skye. Tout le monde était la bas. Je savais que je n'aurais pas du partir. O' m'a dit et me répète que je n'aurais rien su faire, mais je suis persuadée du contraire. Lucifer, un sceau, tout ça ... c'est très flou. Mais c'est comme tout ma vie. C'est flou. Je finirais par découvrir ce qui se cache en dessous. Ce n'est qu'une question de temps.